SAINT AUGUSTIN ET LA BIBLE, Anne-Marie La Bonnardière, Éd. Beauchesne, 1986, 411 – 425, Extraits
MARTHE OU L’ÉGLISE DU TEMPS PRÉSENT
Le ministère de Marthe est marqué
du sceau de la nécessité. Elle s’adonne aux œuvres de miséricorde parce que la
miséricorde est nécessaire à la misère. Marthe a reçu le Saint Lui-même dans sa
maison. Et saint Augustin admire le don qui est fait à Marthe de pouvoir
recevoir le Seigneur. Le souci d’Augustin est d’amener son peuple à considérer
l’infinie miséricorde par laquelle le Seigneur Jésus a accepté d’avoir besoin
des services de ses créatures. Ce n’est pas par indigence de nature, c’est par
grâce envers nous. Et d’ailleurs, de qui Marthe tenait-elle ce qu’elle donnait
au Maître, sinon du Maître Lui-même ?
Marthe, recevant le Seigneur dans
sa chair mortelle, a réalisé ce qu’Abraham avait autrefois figuré en
accueillant des anges. Saint Augustin rappelle ce verset de l’évangile de
Matthieu : « Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits
qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait », Mt 25, 40, pour conclure que le ministère
de Marthe durera jusqu’à la fin des temps.
Ainsi, malgré l’excellence du
ministère de Marthe, il y a une part meilleure. La prédilection de Jésus pour
Marie, son amour de préférence pour Jean, et l’attente passionnée de Rachel par
Jacob en témoignent. Le Seigneur attache du prix à l’attention de Marie à ses
Paroles, Jean se nomme lui-même le disciple que Jésus aimait, et c’est pour
Rachel et non pour Lia que Jacob accepte de servir Laban pendant 14 ans.
Cependant le zèle de Marthe est manifeste et le Seigneur l’a béni en acceptant
d’en être bénéficiaire. Lia a donné un grand nombre d’enfants à Jacob. Pierre
aimait le Christ plus que les autres. Mais le ministère de Marthe
cessera, parce qu’un jour cesseront les multiples œuvres de miséricorde. Marie
a choisi ce qui demeurera toujours.
Pierre représente l’Église dans
le temps, dans les tribulations, dans les tentations. Et le Christ nous aime
moins dans cet état, où il doit nous libérer du mal, que dans l’éternité où plus
rien en nous ne lui déplaira. Et c’est pourquoi il aime Jean plus que Pierre.
Jean représente la vie qui nous rendra heureux, et le Seigneur nous aime moins
misérables que bienheureux. Quant à nous, sur terre, nous aimons davantage la
miséricorde du Seigneur que la contemplation de la Vérité.
Marthe et Marie sont
des figures, mais elles sont aussi des personnages historiques. Marthe, en s’affairant à de
multiples choses, c’est l’Église du temps présent exercée en de multiples
difficultés. Certains termes qui parlent de Marie concernent l’Église à venir,
d’autres essaient de traduire une expérience qui appartient déjà au temps
présent. Expérience exceptionnelle, faite par quelques uns qui, entre le régime
de la foi obscure et celui de la claire vision, ont une connaissance de
Dieu. « À présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors,
ce sera face à face. À présent, ma connaissance est limitée, alors, je
connaîtrai comme je suis connu », 1 Co 13, 12.
Le service des saints cessera un
jour. Il n’a pas sa fin en lui-même, mais il est ordonné à la vision de Dieu.
La tâche de Marthe est transitoire et le repos sera sa récompense. Multiples
sont les œuvres de Marthe, mais ce sont ces multiples choses qui représentent
la voie ordonnée à la recherche de l’Unique, le chemin qui conduit à la patrie,
le labeur au repos. Quelles sont ces multiples choses, sinon les œuvres de
miséricorde ?
Semblable à Jacob soutenu par le désir d’obtenir Rachel,
c’est-à-dire la doctrine de la Sagesse, et d’accéder à la vision du Principe,
tout vrai serviteur de Dieu, sorti du péché, accepte de prendre Lia pour
épouse, c’est-à-dire de pratiquer d’abord les commandements de Dieu envers le
prochain, et puis les béatitudes.
Dans son commentaire
des béatitudes, saint Augustin insiste sur cette condition d’accès à la
vision de Dieu qu’est la charité fraternelle :
« La vision de Dieu n’appartiendra qu’à ceux qui auront gardé entre eux la Paix », Sermo 23, 17 – 18.
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